Lors de la cinquième journée des Rencontres du Développement Durable consacrée au thème “Construire l’Europe de l’écologie”, Jean-Christophe Ploquin, Rédacteur en chef de La Croix a modéré une masterclass qui a réuni Bertrand Badré, Ancien Directeur général pour les finances de la Banque mondiale et Directeur général de Blue Like an Orange Sustainable Capital et Claire Waysand, Directrice générale d’Engie.
Avec le Pacte Vert européen, l’Union européenne se fixe des objectifs ambitieux pour atteindre la neutralité carbone sur son territoire d’ici 2050. Cette feuille de route vise à « verdir » l’économie européenne. Mais, au-delà des décideurs politiques, c’est aussi aux citoyens et aux entreprises de jouer leur rôle dans cette transition.
Lors de son discours sur l’état de l’Union, Ursula von der Leyen l’a rappelé : il est urgent, maintenant plus que jamais, d’agir pour lutter contre le réchauffement climatique et pour la préservation les ressources naturelles. Pour cela, l’UE s’est fixée des objectifs ambitieux : réduire ses émissions de gaz à effet de serre jusqu’à devenir un continent neutre en carbone d’ici 2050 et avoir une économie moderne, compétitive et efficace dans l’utilisation des ressources. Mais ces grands engagements ne doivent pas seulement passer par des axes politiques et des effets d’annonce pour avoir un impact réel sur la planète. Pour être véritablement efficace, la transition écologique doit impliquer toutes les strates de la société, de l’Etat aux citoyens, en passant par les entreprises.
Pour esquisser la réalité de la transition écologique et énergétique, Bertrand Badré, Directeur général de Blue Like an Orange Sustainable Capital, et Claire Waysand, Directrice générale d’Engie, nous amènent à penser une économie où chacun puisse être acteur du nécessaire changement dont notre planète a besoin. Où chacun puisse - et doive - s’impliquer. Et cela, 5 ans déjà après l’Accord de Paris sur le Climat.
La finance, acteur à part entière de la transition écologique
L’action publique est le premier levier de changement. C’est à elle que revient le devoir d’impulser une nouvelle dynamique plus soucieuse de l’état de la planète et de ses ressources. Dans ce plan d’action contre le réchauffement climatique, la Commission européenne a proposé des feuilles de routes pour chaque secteur dans le cadre son Pacte vert. De cette manière, elle souhaite pouvoir mettre en place une économie plus verte où les modes de vies et de consommations ne nuisent pas à la planète.
Selon Claire Waysand, à l’heure actuelle « il est indispensable que l’action publique permette de guider l’action privée pour qu’elle s’inscrive dans cette perspective de développement durable ». L’Union européenne et les Etats doivent définir un cadre précis pour que les entreprises puissent se placer favorablement dans une économie plus soucieuse de la nature. L’automobile est un exemple parmi d’autres de l’efficacité des normes environnementales sur les entreprises. Les règles, comme celles sur le seuil des émissions de CO2 des véhicules, ont poussé les grands constructeurs automobiles à se tourner vers la fabrication de voitures électriques ou hybrides par exemple.
Mais le cadrage normatif n’est pas le seul moyen dont disposent les acteurs publics pour mettre en place la transition écologique. « La manière optimale d’arriver [à nos objectifs], c’est de se donner un chiffrage d’externalité », explique Claire Waysand, « donc de mettre un prix en face d’une pollution, en l’occurrence ici des émissions de gaz à effet de serre […] et de laisser les comportements s'ajuster ». Associer un coût fixe aux émissions de carbone est donc un outil économique nécessaire est donc un outil économique nécessaire pour que les entreprises fassent des choix d'investissements et de financements alignés avec les objectifs européens pour le climat. L'action publique agit dans ce cas-là pour donner des lignes directrices claires aux entreprises et leur permettre de développer leur activité et de les rendre pérenne, sur le long terme, tout en respectant l’environnement. On rappelle que le développement durable s’appuie sur trois piliers : social, environnemental et économique.
Ce cadrage par le haut est aussi permis par le rôle de la finance, lien entre les Etats, les entreprises et les citoyens. Mais pour avoir un monde de la finance qui agisse en faveur de la transition, il faut que son fonctionnement évolue. Comme l'explique Bertrand Badré, la finance fonctionne dans un système capitaliste qui s'est défini depuis les années 1970 comme un système de « maximisation du profit ». C'est-à-dire que l'entreprise considère son profit comme une fin en soi. L'impact final de son action n'est que très peu prise en compte.
Mais la finance doit désormais intégrer la notion de durabilité à son modèle. Selon Bertrand Badré, il faut sortir de la maximisation du profit pour trouver des solutions aux maux de la planète et de ses habitants, et donc inscrire le fait de faire du profit « dans le besoin et dans la durée ». Le profit généré par les activités d’une entreprise peut alors passer d’une « fin en soi » à « un moyen » pour dessiner un avenir durable. Pour que la finance fasse, elle aussi, sa transition.
Le rôle des entreprises, le choix des consommateurs
Si l'Union européenne peut donner l’impulsion nécessaire à la transition écologique, elle ne peut pas canaliser seule le marché sans un changement de comportement de la part des entreprises. Certains grands groupes l’ont déjà compris. Engie, groupe énergétique dont la portée est mondiale, a fait le choix de mettre la durabilité au cœur de sa stratégie, depuis 2015.
L'entreprise a entamé sa transition énergétique en arrêtant d’utiliser le charbon comme source d’énergie et en réduisant de moitié ses émissions de gaz à effets de serre depuis 2015. Plus encore, Engie veut diviser par deux ses émissions d’ici 2030. Pour Claire Waysand, « l'impératif de durabilité doit devenir une condition de vie et de soutenabilité des entreprises ». Il s’agit de penser la transition comme une condition, et non plus comme un simple choix. Dans un monde largement touché par le dérèglement climatique, mettre en place un modèle de production durable devrait renforcer l’attractivité d’une entreprise. Cela se vérifie déjà chez le groupe énergétique : il est de plus en plus attractif pour les travailleurs qualifiés, dont le nombre de candidatures a doublé, quand celui des émissions de GES a été divisé par deux. Il est aussi attractif pour les consommateurs, dont la demande en énergie verte ne fait qu’augmenter.
Pour Bertrand Badré d’ailleurs, « on ne peut pas changer le monde sans changer soi-même ». En effet, le consommateur, le citoyen, l'étudiant, le travailleur, le chef d'entreprise... tous peuvent jouer un rôle dans cette vaste transformation sociétale. Le directeur général de Blue Like an Orange Sustainable Capital prend l'exemple de l'appel des étudiants de grandes écoles françaises comme AgroParisTech, CentraleSupélec, Polytechnique ou HEC, « pour un Réveil écologique ». Dans ce manifeste, les étudiants ont demandé à leurs futurs employeurs de s’engager pour la protection de l’environnement, en proposant un « Guide anti-greenwashing » dont le but est d’éviter pour ces futurs salariés, de se faire duper par de fausses promesses environnementales.
Les jeunes, même s’ils ne participent pas directement à la décision politique, sont de plus en plus volontaires pour s’emparer de la question écologique afin de façonner le monde de demain, qui sera le leur. Pour qu’il soit durable, inclusif et juste. C’est le sens de la demande portée par Constance Courtalon, déléguée au Y20 de Riyad en 2020, le « G20 des jeunes ». Les jeunes délégués plaident pour avoir la possibilité de s’emparer des questions environnementales, pour se faire entendre par les décideurs.
Chaque citoyen a sa part de chemin à faire dans la transition. Cela commence par réclamer cette transition. Puis, cela peut s’accompagner d’actions plus concrètes : consommer moins d’énergie, favoriser l’utilisation de matériaux durables, recycler ses déchets mais aussi ses biens matériels, soutenir les entreprises qui contribuent à la transition écologique.
« Nous sommes tous citoyens, il faut qu’on continue de voter avec nos pieds », c’est-à-dire en refusant de soutenir les entreprises polluantes et en appelant à un changement par nos actions, par nos achats, par nos investissements. « Plus on sera capable collectivement de le faire, plus le monde économique bougera », conclut Claire Waysand. Voici donc le cadeau d’anniversaire de l’industrie et de la finance pour la cinquième bougie que souffle - déjà - l’Accord de Paris cette année.