Lors de la journée consacrée au thème “Recycler l’économie” des Rencontres du Développement Durable, Pierre-Emmanuel Saint-Esprit, Co-fondateur et Directeur général de ZACK , a modéré une table-ronde qui a rassemblé Gilles Berhault, Président de la Fondation des Transitions, Julien Dubourg, Directeur des relations clients et du marketing de Citeo, Anicia Jaegler, Professeure à KEDGE Business School, Jean-Yves Larraufie, Directeur de l’usine L’Oréal à Vichy et Nicolas Perry, Professeur aux Arts et Métiers.
Depuis la première révolution industrielle initiée au début du XIXème siècle, les bouleversements de notre appareil productif ont été nombreux. Des grands conglomérats anglo-saxons du charbon et de l’acier, à la révolution numérique que nous vivons aujourd’hui, en passant par l’invention du moteur à explosion ou encore l’automatisation des chaînes de production grâce à l’émergence de l’électronique : les transformations ont été profondes. Mais il y a eu une constante : l’industrie a toujours joué un rôle important dans notre paysage économique.
Ce rôle de l’industrie au sein de l’économie n’est pas une exception française, elle est le marqueur de très nombreux pays dits « développés ». L’ouverture de nos marchés vers le reste du monde, grâce au phénomène de mondialisation, a accru les opportunités d’exportation pour nos entreprises du secteur secondaire. Cela a eu pour effet d’intensifier largement la concurrence à laquelle notre industrie est soumise. Cette concurrence - mondiale - a tendance à faire baisser les prix et à amoindrir les marges réalisées par les entreprises. Les nombreuses délocalisations amplifient ce phénomène. La stratégie d’accompagnement du secteur industriel par l’Etat est donc devenue, par la force des choses, un enjeu majeur du débat politique, économique et social, depuis plusieurs décennies.
La refonte de notre modèle économique afin de réaliser la transition écologique est nécessaire, sans quoi, la transformation attendue ne sera pas complète. Notre industrie représente à elle seule un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre : aux procédés industriels eux-mêmes, qui nous coûtent 10 % de notre budget carbone, il faut ajouter l’énergie consommée par les processus secondaires comme l’emballage ou le transport, représentant 23 % de nos émissions. Le défi écologique est donc d’abord un défi industriel. Pour le relever, le développement d’une économie circulaire, comme l’optimisation de nos ressources par la transition numérique, nous donne de bons espoirs. Mais comment aller plus vite pour transformer les capitaines d’industrie en champion de la transition ?
La place de l’économie circulaire
Face à la globalisation des échanges qui alourdit considérablement le bilan carbone des produits manufacturés, le développement de l’économie circulaire apparaît comme une solution prometteuse. L’économie circulaire consiste à concevoir le cycle de vie d’un produit dans sa globalité, de sa conception à son recyclage en passant par son transport et par son utilisation. Cette tendance de fond s’illustre également dans le secteur industriel où les produits locaux, les matériaux recyclés et recyclables, ainsi que les processus de fabrication innovants et qui facilitent par exemple la maintenance et la réutilisation des composants, sont valorisés par les industries se voulant respectueuses de l’environnement.
Cette économie circulaire doit se construire en se débarrassant d’une industrie trop sectorisée. En effet, les déchets d’une industrie peuvent aujourd’hui représenter les matières premières d’une autre. Rien ne se perd. Tout se transforme. Cette logique circulaire peut se mettre en pratique à l’échelle la plus petite qui soit : une entreprise. Chez l’Oréal par exemple, l’énergie utilisée est produite localement, la consommation d’eau diminue d’année en année, certains sites de production sont devenus neutres en carbone, et les déchets sont valorisés, réutilisés, recyclés. Pour une usine de production de biens matériels, il est nécessaire de prendre en compte son environnement direct - la région dans laquelle on est implanté par exemple - afin de tirer profit au maximum des bassins de compétences et de production tout en limitant les transports des marchandises. La question de l’échelle à privilégier est évidemment variable d’un secteur à l’autre.
Mieux comprendre le cycle de vie d’un produit
La préoccupation quant au rôle de l’industrie dans le réchauffement climatique et dans la pollution généralisée de notre planète n’est pas nouvelle. Elle avait émergé bien avant la pandémie de covid-19, qui l’a tout de même (re)mise en avant. Dans les années 1990, on a assisté à la lutte contre le suremballage des biens manufacturés, avec l’avènement du principe de responsabilité du producteur. Cette prise de conscience de notre impact sur la santé de la planète depuis quelques décennies est une opportunité pour les entreprises d’aligner leurs valeurs avec les attentes du consommateur.
L’émergence du numérique embarqué (utilisation de capteurs et de processeurs dans les objets pour capturer des données) au cœur du produit est une opportunité pour mieux comprendre le cycle de vie des produits. Cette technologie permet le partage d’informations entre les différentes filières nécessaires à sa production. Toutefois, l’empreinte énergétique d’un tel dispositif n’est pas à négliger et il s’agit de trouver le juste milieu dans son utilisation.
Enfin pour certains produits manufacturés en fin de vie, il est toujours difficile, en 2020, de les recycler complètement. Séparer certains composants lors du recyclage peut s’avérer ardu, et les technologies pour y parvenir ne sont pas toutes performantes ou connues. Pour pallier cet important problème et transformer nos biens matériels en des produits durables et recyclables à l’infini, nous sommes dépendants des innovations technologiques et des avancées de la recherche. Investir dans ces secteurs est primordial pour surmonter ces difficultés.
La structuration des filières industrielles
La mise en place des logiques productives liées à l’économie circulaire est aussi une opportunité pour créer de nouveaux emplois et pour la relance économique de notre pays. En effet, la production de produits à bas coûts importés du monde entier et souffrant de l'obsolescence programmée a fortement détérioré le tissu industriel français mais la formation aux métiers de l’économie circulaire et les emplois associés sont une perspective enthousiasmante. La prise de conscience de ces transformations se fait déjà aujourd’hui au sein des institutions de l’enseignement supérieur avec des élèves sensibilisés sur ces sujets et exigeants vis-à-vis de leur futur employeur.
L’économie circulaire doit bénéficier, pour se développer, d’une structuration de ses filières industrielles, d’un accompagnement par un écosystème adapté ainsi que d’un soutien par les politiques publiques. La loi sur l’économie circulaire qui interdit l’utilisation des plastiques à usage unique et qui rend obligatoire l’utilisation du plastique recyclé dans la fabrication des bouteilles est un premier pas. Elle permet aussi de questionner le paradigme classique du cycle de vie d’un produit, le meilleur déchet étant celui que l’on ne produit pas. A ce titre, le développement de plus en plus important du partage, du réemploi des produits ou de la vente en vrac est un signe encourageant.
Les entreprises engagées dans ces causes, à l’image de Citeo, sont nécessaires à la transformation des pratiques dans leurs filières respectives, entraînant leurs partenaires, leurs industries et leurs fournisseurs. Cet engagement doit se faire de manière holistique le long du cycle de vie du produit, notamment en valorisant le recyclage pour ne pas créer de rupture dans la chaîne de l’économie circulaire.
Pour conclure, il semble que l’économie circulaire soit un moyen pertinent pour recycler notre économie, pour revitaliser notre tissu industriel, pour lutter contre le chômage dans nos territoires et pour inscrire la relance économique dans une voie respectueuse de notre environnement. Ici encore, le meilleur moyen pour les citoyens de s’assurer que les industries prennent les bonnes orientations est de favoriser la consommation de biens produits dans le respect de notre planète, afin d’engager un virage vert avec notre carte bleue !